Révision du Séminaire sur la conjecture $abc$

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20 minutes

Le but de cet exposé est de re-voir les contenus présentés lors du Séminaire sur la conjecture $abc$ et ses thèmes connexes, avec quelques indications sur la littérature de référence. Les présentations originales, plus détaillées, sont en espagnol, mais les références sont en anglais et en français.

Remerciements aux orateurs : Les présentations ont été faites par Matías Alvarado, Francisco Gallardo, Ignacio Henríquez, Héctor Pastén et Rocío Sepúlveda Manzo.

Introduction

Histoire

La conjecture $abc$ a été formulée pour la première fois par David Masser et Joseph Oesterlé entre 1985 et 1988 ; son énoncé est le suivant :

Conjecture $abc$ (forte). – Fixons une constante $\kappa > 1$. Pour tout triplet $(a, b, c)$ des nombres premiers entre eux, avec $a + b = c$, la majoration suivante est satisfaite : $$ \max\{ |a|, |b|, |c| \} \ll_\kappa \operatorname{Rad}(abc)^\kappa. $$

Ci-dessus, $\operatorname{Rad}(n)$ désigne le produit des facteurs premiers $p \mid n$ avec multiplicité un ; il coïncide avec la définition du radiciel d’un idéal dans l’Algèbre commutative. Pour de nombreuses applications, on a besoin que l’énoncé soit vérifié pour un exposant fixé $\kappa$, auquel cas on dira que la conjecture $abc$ faible est satisfaite pour l’exposant $\kappa$. Le cas $\kappa = 1$ est faux.

La conjecture est inspirée par un résultat similaire de Stothers et Mason (1981) pour les corps de fonctions, et est également influencée par la conjecture de Szpiro sur les courbes elliptiques. La conjecture $abc$ est plus connue car, si elle est vraie, elle implique de nombreux problèmes difficiles de géométrie diophantienne : quelques exemples sont le dernier théorème de Fermat, la conjecture (asymptotique) de Catalan (maintenant théorème par Mihăilescu), la conjecture de Pillai, la conjecture d’Erdős-Woods, et d’autres.

Stratégies

Voici quelques stratégies en direction de la conjecture $abc$ (la liste n’est pas exhaustive) :

  1. Pour les courbes elliptiques, le discriminant minimal joue le rôle de $c$ dans l’équation $a + b = c$, tandis que le conducteur ressemble au radiciel (dans le sens où leurs facteurs premiers sont les mêmes et possèdent des exposants contrôlés). Les célèbres courbes de Frey formalisent ces analogies. La conjecture de Szpiro est un lien entre les deux valeurs et est, par suite, la reformulation la plus connue de la conjecture $abc$.
  2. En géométrie diophantienne, le théorème d’approximation de Roth est l’un des principaux outils ; un de ses corollaires est que les solutions à l’équation des $S$-unités sont finies. Les formes logarithmiques donnent des majorations effectives à l’équation à deux variables, mais un « théorème de Roth effectif » est presque aussi bon que la conjecture $abc$. L’analyse diophantienne effective a des connexions avec le second théorème principal de Cartan dans la théorie de Nevanlinna.
  3. Dans le thème de l’effectivité, un théorème du type « Mordell effectif » ou « Faltings effectif » entraîne également la conjecture $abc$. Les résultats de cette classe peuvent être exprimés comme des moyennes des hauteurs de Faltings.

Les courbes elliptiques

Définitions et invariants

Définition. – Une courbe elliptique $E$ sur un corps $K$ est une courbe régulière isomorphe à la clôture projective d’une courbe plane donnée par une équation de Weierstrass : $$ y^2 + a_1xy + a_3y = x^3 + a_2x^2 + a_4x + a_6, \qquad a_1,\dots,a_6 \in K. $$ Remarquez qu’il n’y a pas de coefficient $a_5$. L’indice a la suivante interprétation : d’après le changement de coordonnées $(x, y) \mapsto (u^2x, u^3y)$ et en divisant par $u^{-6}$, on a le changement $a_i \mapsto u^{-i}a_i$. Donc, l’indice $i$ est appelé son poids.

Proposition. – Soit $E$ une courbe elliptique sur un corps $K$ tel que $\operatorname{char} K \nmid 6$. Elle peut être mise sous forme minimale de Weierstrass : $$ y^2 = x^3 + d_4x + d_6, \qquad d_4, d_6 \in K. $$ Le polynôme à droite est muni d’un discriminant, et donc, le discriminant de $E$ est défini par $$ \Delta := -16(4d_4^3 + 27d_6^2), $$ en suit, pour qu’une forme minimale de Weierstrass induise une courbe elliptique, il faut et il suffit que son discriminant ne soit pas nul.

Il est clair que $\Delta$ a un poids de 12.

L’invariant $j$ d’une courbe elliptique sous forme minimale de Weierstrass est $$ j(E) := 1728\cdot \frac{d_4^3}{\Delta}, $$ qui a un poids zéro. Pour tant, il peut être verifié que c’est indépendant du choix de l’équation de Weierstrass.

Théorème de Poincaré. – Soit $E$ une courbe elliptique sur $K$ et choisissons un point rationnel $o \in E(K)$, l’ensemble $(E(K), +)$ est muni d’une structure de groupe abélien algébrique où $o$ est l’élément neutre et commute avec le changement de base ; c’est-à-dire, l’opération du groupe est localement donnée par des équations à coefficients dans $K$ et, donnée une extension de corps $L/K$, l’inclusion $E(K) \hookrightarrow E(L)$ est un homomorphisme de groupes.

Ainsi, toute courbe elliptique est munie d’une structure de groupe algébrique. On dira qu’une variété abélienne $A$ sur un corps $K$ est un groupe algébrique intègre, lisse et projectif. On remarquera que, pour qu’un groupe algébrique soit une variété abélienne, il faut et il suffit qu’il soit géométriquement réduit, connexe et propre (voir la remarque 0H2U du Stacks project).

Les variétés abéliennes sont des généralisations des courbes elliptiques et, en un sens, leurs sœurs aînées moins connues car elles sont moins explicites ; toutefois, elles sont très nécessaires et constituent un outil clé pour la preuve de Faltings de la conjecture de Mordell.

Théorème. – Soit $X$ une courbe (c’est-à-dire, un schéma intègre de dimension un) sur un corps $K$. Les conditions suivantes sont équivalentes :

  1. $X$ est une courbe elliptique,
  2. $X$ admet une structure de variété abélienne et,
  3. $X$ est géométriquement intègre, lisse, possède au moins un point rationnel $o \in X(K)$ et a un genre un.

Aussi, il est facile de vérifier la :

Proposition. – L’invariant $j$ définit une fonction $j \colon \mathscr{A}_1(K) \to K$ surjective, où $\mathscr{A}_1(K)$ désigne l’ensemble des (classes d’isomorphisme des) courbes elliptiques sur $K$. De plus, deux courbes elliptiques $E_1$ et $E_2$ possèdent le même invariant $j$ si et seulement s’il existe une extension des corps $L/K$ telle que les changements de base $(E_1)_L \cong (E_2)_L$ sont isomorphes. En particulier, lorsque $K$ est algébriquement clos, $j$ est bijective.

Réduction modulo $p$

Soit $K$ un corps des nombres et soit $E$ une courbe elliptique sur $K$. D’après le choix d’une équation de Weierstrass pour $E$ avec des coefficients entiers, nous pouvons définir un $\mathcal{O}_K$-modèle $\mathcal{M}$ de $E$ (c’est-à-dire, un schéma sur $\mathcal{O}_K$ dont la fibre générique est $E_K$).

Par résolution des singularités, nous pouvons modifier $\mathcal{M}$ en un schéma régulier $\mathcal{E}$ qui est projectif sur $\mathcal{O}_K$ (mais pas nécessairement lisse !). Soit $\mathfrak{p}$ un idéal premier de $\mathcal{O}_K$, nous considérons la fibre $\mathcal{E}_\mathfrak{p}$. Nous dirons que $E$ possède une bonne réduction modulo $\mathfrak{p}$ si $\mathcal{E}_\mathfrak{p}$ est lisse ; sinon, nous dirons qu’elle a une mauvaise réduction.

Puisque la fibre générique de $\mathcal{E}$ est lisse et $\mathcal{E}$ est régulier, les points de mauvaise réduction dans $\operatorname{Spec}(\mathcal{O}_K)$ forment une partie fermée et, par conséquent, sont finis. À chaque point de mauvaise réduction, le lieu lisse de la fibre est ouvert et possède un nombre fini de singularités. En les éliminant, nous obtenons un $\mathcal{O}_K$-modèle $\mathcal{E}_0$ de $E_K$ qui est de type fini et lisse, appelé le modèle de Néron de $E_K$.

Soit $\mathcal{E}_0$ le modèle de Néron de $E_K$ et soit $\mathfrak{p}$ un point de mauvaise réduction ; la fibre sera un groupe algébrique (parfois disconnexe) dont la composante connexe (qui n’est pas propre) sera le groupe multiplicatif $\mathbb{G}_m$ ou le groupe additif $\mathbb{G}_a$. Dans le premier cas, nous dirons que $E_K$ possède une réduction multiplicative en $\mathfrak{p}$, et dans le second cas, que $E_K$ possède une réduction additive. Soit $S \subseteq \operatorname{Spec}\mathcal{O}_K$ un sous-schéma ouvert, nous dirons que $E$ possède une réduction semi-stable sur $S$ si elle a une bonne réduction ou une réduction multiplicative en tout point de $S$.

En général, la résolution des singularités des surfaces fonctionne toujours lorsque le schéma de base est excellent. De plus, pour un schéma de Dedekind général $S$ (que nous supposons connexe) et une variété abélienne $A_K$ sur le point générique de $S$, il n’existe qu’un seule modèle de Néron $\mathcal{A}_S$ pour $A_K$ sur de $S$ qui est de type fini et lisse (et satisfait la propriété de Néron). Au lieu de la trichotomie : réduction multiplicative, additive ou bonne, nous employons la décomposition d’un groupe algébrique pour la fibre du modèle de Néron et obtenons une partie abélienne, multiplicative et unipotente. Nous dirons que la variété $A_K$ possède une réduction semi-stable en un point fermé $s$ de $S$ si le rang unipotent de sa fibre $\mathcal{A}_s$ est nul.

Lorsque $A_K$ est une courbe elliptique $E_K$, il existe une autre manière de construire la fibre $(\mathcal{E}_0)_{\mathfrak{p}}$ : prenez une équation de Weierstrass à coefficients entiers pour $E_K$. Elle est munie d’un discriminant entier $\Delta$ qui possède une valuation $\mathfrak{p}$-adique $\nu_{\mathfrak{p}}(\Delta) \ge 0$ positive. Nous dirons que cela équation est minimale pour $\mathfrak{p}$ lorsque il est de même de la valuation $\mathfrak{p}$-adique de son discriminant ; nous désignerons par $\nu_{\mathfrak{p}}( \mathfrak{D}_{E/K} )$ sa valeur. Ainsi, l’équation définissant un $\mathcal{O}_{K, \mathfrak{p}}$-modèle pour $E_K$ appelé le modèle de Weierstrass minimal $\mathcal{W}$, qui est normal et projectif.

Lorsque $\mathfrak{p}$ est de bonne réduction pour $E_K$, nous pouvons prouver que le modèle de Weierstrass minimal coïncide avec $(\mathcal{E}_0)_{\mathfrak{p}}$ ; en revanche, ils ne peuvent pas être isomorphes car $\mathcal{W}$ est projectif et singulier. Donc, pour avoir la possibilité d’atteindre l’isomorphisme, nous pouvons prendre le lieu lisse $\mathcal{W}_{\rm lisse}$ et le comparer avec la composante connexe de $(\mathcal{E}_0)_{\mathfrak{p}}$, et maintenant elles sont isomorphes. Cela est intéressant puisque la théorie abstraite de Néron entraîne que la fibre doit être un groupe algébrique commutatif, lisse, mais pas propre ; par conséquent, il doit être le groupe additif ou un tore $T$ (géométriquement isomorphe au groupe multiplicatif). D’autre part, l’analyse concrète de $\mathcal{W}$ entraîne que les seules singularités se trouvent dans l’intersection de $\mathcal{W} \subseteq \mathbb{P}^2$ avec la droite $y = 0$ et, par la suite, elle est soit une nœud (dans le cas de la réduction multiplicative) ou sinon, elle est soit une cuspide (lorsque la réduction est additive).

Nous pouvons définir le nombre $\nu_{\mathfrak{p}}( \mathfrak{D}_{E/K} )$ pour tous les points finis de mauvaise réduction de $\operatorname{Spec}(\mathcal{O}_K)$ et, par conséquent, définir le suivant idéal entier $$ \mathfrak{D}_{E/K} := \prod_{\mathfrak{p}} \mathfrak{p}^{ \nu_{\mathfrak{p}}( \mathfrak{D}_{E/K} ) }, $$ où $\mathfrak{p}$ parcourt les idéaux maximals de $\mathcal{O}_K$. Ceci idéal est appelé le discriminant minimal (global) de $E_K$.

En un sens, $\mathfrak{D}_{E/K}$ calcule toutes les mauvaises réductions en même temps, et peut être presque tout idéal possible. Pour l’anneau $\mathbb{Z}$, ce ne sera qu’un nombre, mais les anneaux des entiers $\mathcal{O}_K$ ne sont pas factoriels en général, et $\mathfrak{D}_{E/K}$ ne sera pas principal. Lorsque $\mathfrak{D}_{E/K}$ est effectivement principal, il existe une seule équation de Weierstrass qui est minimale dans tous les idéaux premiers de $\mathcal{O}_K$ ; cette équation-là est dite minimale. (En fait, par un théorème de Silverman, la dernière assertion est une équivalence.)

Tout cela est très intéressant en théorie, mais en practique nous avons besoin d’une méthode pour calculer ces invariants (réduction modulo $p$ et discriminant minimal). Cette méthode est donnée par l’algorithme de Tate, qui est un outil central.

La conjecture de Szpiro et $abc$

Un autre invariant essentiel est l’exposant du conducteur $f(E_K, \mathfrak{p})$ qui est $0$ (resp. $1$, $2$) lorsque $\mathfrak{p}$ est de bonne réduction (resp. réduction multiplicative, additive) ; avec cela, nous pouvons définir le conducteur, qui est aussi un idéal entier et « mesure la mauvaise réduction » : $$ \mathfrak{N}_{E/K} := \prod_{\mathfrak{p}} \mathfrak{p}^{ f(E_K, \mathfrak{p}) }. $$ En fait, cela représente la composante modérée de l’exposant du conducteur, qui coïncide lorsque $\mathfrak{p} \nmid 6$ ; dans d’autres cas, la définition appropriée inclut une partie sauvage qui est contrôlée d’une certaine manière. La formule d’Ogg implique que $\mathfrak{N}_{E/K} \mid \mathfrak{D}_{E/K}$.

En 1983, Lucien Szpiro a conjecturé ce qui suit :

Conjecture de Szpiro pour les corps des nombres. – Soit $\epsilon > 0$. Pour toutes les courbes elliptiques $E_K$ sur un corps des nombres fixé $K$, on aurait la moyenne $$ \mathbf{N}\mathfrak{D} \ll_\epsilon \mathbf{N}(\mathfrak{N}_{E/K})^{6 + \epsilon}. $$

Toutefois, par définition, le conducteur peut être considéré comme le cadre du radical de $\mathfrak{D}_{E/K}$ ; ainsi, toute comparaison entre les deux évoque la conjecture $abc$. En fait :

Proposition. –

  1. La conjecture de Szpiro pour $\mathbb{Q}$ entraîne la conjecture $abc$ (faible) pour un exposant de $3/2 + \epsilon$.
  2. La conjecture $abc$ (forte) entraîne la conjecture de Szpiro pour $\mathbb{Q}$.

Si nous cherchons une équivalence complète, nous devons renforcer la conjecture de Szpiro :

Théorème. – Les énoncés suivants sont équivalents :

  1. la conjecture $abc$ (forte) de Masser et Oesterlé,
  2. la conjecture généralisée de Szpiro : pour tout $\epsilon > 0$, il existe un nombre réel $\kappa > 0$ avec la propriété que, pour toute courbe elliptique $E_\mathbb{Q}$ sur $\mathbb{Q}$ mise en équation de Weierstrass minimale, on a la moyenne $$ \max\{ |\Delta|, |d_4|^3 \} \le \kappa N_{E, K}^{6+\epsilon}. $$

Il est significatif de chercher des généralisations de la conjecture $abc$ pour les corps des nombres, et la conjecture de Szpiro y parvient.

Formes logarithmiques

Les formes logarithmiques sont parmi les objets les plus importants dans la théorie de la transcendance, dédiée à l’étude des nombres transcendants (et, par extension, des nombres algébriques). Un résultat bien connu dans ce domaine est le théorème de von Lindemann-Weierstrass, qui établit qu’une suite finie de nombres algébriques distincts $\alpha_1, \dots, \alpha_n$ possède des exponentielles $e^{\alpha_1}, \dots, e^{\alpha_n}$ qui sont linéairement indépendantes sur $\mathbb{Q}$.

Dans ses problèmes millénaires, Hilbert a proposé l’amélioration suivante : toute exponentielle $\alpha^b$ est transcendante lorsque $\alpha \notin \{0, 1\}$ est algébrique et $b$ est irrationnel ; cela a été prouvé par Gelfond et Schneider en 1934.

Une autre manière d’énoncer le septième problème de Hilbert est de se demander si les logarithmes $\log\alpha_1$ et $\log\alpha_2$ sont linéairement indépendants sur $\mathbb{Q}$ lorsqu’ils sont algébriquement indépendants. Cet énoncé peut être généralisé à $n$ termes ; c’était une conjecture de Gelfand, maintenant théorème d’Alan Baker. Les travaux de Baker ont été encore plus avancés : il a prouvé en 1966 que la forme linéaire $$ \Lambda = \beta_0 + \beta_1\log\alpha_1 + \cdots + \beta_n\log\alpha_n $$ admet une minoration dépendant des coefficients $\beta_i \in \mathbb{Z}$.

D’après Baker, de nombreuses personnes ont réalisé des améliorations sur les moyennes des formes logarithmiques. Au début du XXIe siècle, Matveev a atteint la meilleure moyenne à cette date ; et en 1986, Yu a établi une inégalité similaire pour la valeur absolue $p$-adique de la forme $\Lambda$ ci-dessus. ces résultats ont de nombreuses applications aux moyennes des hauteurs dans les groupes algébriques (un exemple d’excellence étant l’exponentielle de $\Lambda$, correspondant au cas du groupe multiplicatif).

En 2001, Stewart et Yu ont appliqué la théorie des formes logarithmiques pour obtenir une inégalité du type $abc$ : $$ \log c \ll_\varepsilon \operatorname{Rad}(abc)^{\frac{1}{3}+\varepsilon}, $$ (regardez le logarithme en $c$ !). Si nous supposons que $a < c^{1-\eta}$ pour un nombre $0 < \eta < 1$ fixé au choix, H. Pastén a montré une amélioration récente : $$ \log c \ll_{\eta, \varepsilon} \operatorname{Rad}(abc)^\varepsilon. $$ Comme mentionné au début, la conjecture $abc$ possède de nombreuses applications arithmétiques, et ses approches en ont également, comme le théorème de Tijdeman (qui affirme que l’équation de Catalan a au plus un nombre fini de solutions), la finitude effective des solutions des équations de Thue, le théorème de Siegel sur la finitude des points entiers des courbes de genre géométrique $\ge 1$, etc. D’autres grands théorèmes de la théorie de la transcendance concernent les moyennes effectives pour les solutions des équations des $S$-unités.

La preuve de Faltings de la conjecture de Mordell

Hauteurs et géométrie diophantienne

Soit $x = u/v$ un nombre rationnel, où $u$ et $v$ sont des entiers premiers entre eux (si le lecteur le souhaite, $x \in \mathbb{A}^1(\mathbb{Q})$ est un point de la droite affine). On définit sa hauteur (logarithmique) par $$ h(x) = \max\{ |u|, |v| \}, $$ où $|\,|$ désigne la valeur absolue usuelle. En général, en utilisant toutes les places d’un corps de nombres, on peut généraliser cette définition pour atteindre la hauteur de Weil pour les points géométriques de la droite projective $\mathbb{P}^1(\mathbb{Q})$.

Les hauteurs forment le cœur de la géométrie diophantienne, une branche des mathématiques qui combine l’arithmétique et la géométrie algébrique pour relier les propriétés fonctorielles des diviseurs (ou faisceaux) aux propriétés numériques des hauteurs. Un résultat classique est le suivant :

Théorème (propriété de Northcott). – Soit $B$ un nombre réel et $d$ un entier positif, il y a au plus un nombre fini de points dans l’espace projectif avec hauteur bornée par $ B $ et degré $\le d$.

Ce fait, d’apparence innocente, a été clé dans la démonstration du théorème de Mordell-Weil : le groupe des points rationnels $A(K)$ d’une variété abélienne $A$ sur un corps de nombres $K$ est de type fini.

Le lecteur peut penser que l’objectif de Faltings est de prouver la propriété de Northcott pour les variétés abéliennes dans un certain sens (conjecturé par Safarevic). Cela nécessiterait de prendre une hauteur de Weil dans un espace grossier de modules, mais cela ne suffit pas, car cela aurait pour effet de compter les variétés abéliennes isomorphes sur $\mathbb{C}$. Cela est connu sous le nom de hauteur des modules, et pour les courbes elliptiques $E$, c’est comme l’hauteur $h(j(E))$ de son invariant $j$ ; on peut aussi considérer que c’est l’hauteur canonique dans la courbe modulaire $ X(1) $, liée à l’isomorphisme avec la droite projective $\mathbb{P}^1$ ; cependant, cela ne fonctionne pas car une courbe elliptique $E$ sur $K$ possède un nombre infini de tours (c’est-à-dire, des courbes elliptiques non isomorphes $E^\prime$ qui deviennent isomorphes après un certain changement de base).

Et maintenant, que faire ? Eh bien, la conjecture de Safarevic (connue pour les courbes elliptiques) stipule qu’une variété abélienne $ A_K $ sur $ K $ possède un nombre fini de tordues qui sont semi-stables dans un ouvert fixé. Autrement dit, pour définir une hauteur adéquate pour les variétés abéliennes, il faut tenir compte de la mauvaise réduction et relier l’hauteur des modules. Ici, l’hauteur de Faltings $h_{\rm Fal}(E)$ est définie comme une certaine intersection arakelovienne du différentielle de Néron. La comparaison avec l’hauteur des modules est, comme prévu, sans différence bornée, jusqu’à une différence logarithmique. Cela est illustré par le théorème de Faltings-Silverman : $$ O(1) \le h(j_E) + \frac{1}{[K : \mathbb{Q}]}\log \mathbf{N}\Upsilon_{E/K} - 12h_{\rm Fal}(E_K), $$ où $\Upsilon_{E/K}$ est le discriminant minimal instable ; lorsque $E_K$ est semi-stable, donc $\Upsilon_{E/K} = 1$ et son terme est nul.

La démonstration de Faltings suit maintenant un chemin inverse à celui décrit ci-dessus. Les préliminaires sont les suivants : soit $A_K$ une variété abélienne sur un corps de nombres $K$, il existe une extension finie des corps $L/K$ telle que $A_L$ soit semi-stable (c’est l’énoncé du théorème de réduction semi-stable) ; d’après un changement de base $L/K$, l’hauteur de Faltings peut être ramenée, mais l’égalité est atteinte lorsque $A_K$ possède une réduction semi-stable.

Ainsi, l’hauteur de Faltings géométrique $h_{\rm geom}(A)$ est l’hauteur de $A_L$, où $L/\mathbb{Q}$ est un corps de nombres dans lequel $A_L$ a une réduction semi-stable. Ensuite, $h_{\rm geom}$ n’est pas éloignée de l’hauteur des modules (d’une certaine manière, comme dans le théorème de Faltings-Silverman), mais $h_{\rm Fal}$ comporte toujours un « terme d’erreur qui mesure la mauvaise réduction ». La fonction $h_{\rm Fal}$ possède la propriété de Northcott, et ainsi, une seule variété abélienne possède un nombre fini de tordues avec mauvaise réduction pour un ensemble fini de nombres premiers fixé. Enfin, la conjecture de Mordell découle de la conjecture de Safarevic par des arguments connus antérieurs aux travaux de Faltings.

La conjecture de Frey sur les hauteurs

Soit $\mathfrak{a}$ un idéal fractionnaire de $\mathcal{O}_K$. On peut le factoriser en un produit fini d’idéaux premiers $\mathfrak{p}_1^{e_1} \cdots \mathfrak{p}_n^{e_n}$, où les exposants $ e_j $ sont des entiers, éventuellement négatifs ($ e_j \in \mathbb{Z} $). On définit son degré par $$ \deg\mathfrak{a} = \sum_{j=1}^n e_j \, \textbf{N}\mathfrak{p}_j. $$ En 1989, Frey a conjecturé l’énoncé suivant :

Conjecture de Frey sur les hauteurs ($H$). – Soit $K$ un corps de nombres. Pour toute courbe elliptique $E_K$ sur $K$, on a la relation : $$ h_{\rm Fal}(E_K) \ll \deg(\mathfrak{N}_E). $$

La définition du degré établit un lien entre le logarithme de la norme $\textbf{N} \mathfrak{N}_E$ et l’hauteur de Faltings, qui est le logarithme d’une intégrale correspondant à la complexité d’une courbe elliptique. Le corollaire suivant n’est pas trop surprenant :

Proposition. – La conjecture de Frey entraîne la conjecture de Szpiro.

Modulairité

Nous avons parlé de l’utilisation de l’espace grossier des modules $\mathscr{A}_g$ des variétés abéliennes de dimension $g$, mais nous avons besoin d’une description plus précise de cet objet, comme celle donnée par l’invariant $j$.

Sur le corps de nombres complexes $\mathbb{C}$, toutes les variétés abéliennes (vues comme variétés analytiques) sont des quotients $\mathbb{C}^g/\Lambda$, où $\Lambda \le \mathbb{C}^g$ est un réseau (c’est-à-dire, un $\mathbb{Z}$-sous-module discret de rang $2g$). Pour $g = 1$, l’invariant $j$ définit une application dès les réseaux dans le plan complexe vers le corps des nombres complexes. Chaque réseau est homothétique à un de la forme $\mathbb{Z} + \tau \mathbb{Z}$, où $\tau$ est un élément du demi-plan de Poincaré $\mathfrak{H}$. L’invariant $j$ détermine alors une bijection entre $\mathbb{C}$ et les points de $\operatorname{SL}_2(\mathbb{Z}) \backslash \mathfrak{H} =: Y(1)$.

En utilisant $\mathfrak{H}^* := \mathfrak{H} \cup \mathbb{P}^1(\mathbb{Q})$, le quotient $\operatorname{SL}_2(\mathbb{Z}) \backslash \mathfrak{H}^* =: X(1)$ est une surface de Riemann compacte, qui peut être dotée d’une structure de courbe lisse et projective sur $\mathbb{Q}$. Si l’on considère un sous-groupe $\Gamma$ de $\operatorname{SL}_2(\mathbb{Z})$ d’indice fini, on peut obtenir d’autres courbes modulaires, qui peuvent être identifiées comme des compactifications des espaces grossiers de modules. Parmi celles-ci, un groupe fuchsien essentiel est le sous-groupe spécial modulaire de niveau $N$ : $$ \Gamma_0(N) = \left\{ \begin{bmatrix}a & b \\ c & d\end{bmatrix} \in \operatorname{SL}_2\mathbb{Z} : c \equiv 0 \pmod{N} \right\}, $$ dont la courbe modulaire est désignée par $X_0(N)$.

Une courbe elliptique $E_K$ sur un corps de nombres $K$ est dite modulaire s’il existe un morphisme (algébrique) $\phi\colon X_0(N) \to E$ défini sur $\mathbb{C}$ qui n’est pas constant ; ces $\phi$ sont appelés paramétrisations modulaires. On peut prouver que de tels morphismes (s’ils existent) sont définis sur un corps de nombres (possiblement plus grand que $ K $). Par la conjecture de Shimura-Taniyama-Weil (maintenant prouvée par Taylor, Wiles et d’autres), chaque courbe elliptique sur $\mathbb{Q}$ est modulaire. Dans ce contexte, nous avons la conjecture suivante :

Conjecture du degré de Frey ($D_d$). – Soit $S \subseteq M_\mathbb{Q}$ un ensemble fini fixé de places avec $\infty \in S$ et soit $\epsilon > 0$ un nombre réel fixé.
Toute courbe elliptique $E$ sur $\mathbb{Q}$ semi-stable en dehors de $S$ possède une paramétrisation modulaire $\phi$ telle que $$ \deg\phi \ll_\epsilon \prod_{\ell\mid N_E} \ell^{d+\epsilon}. $$

La conjecture du degré de Frey entraîne sa conjecture sur les hauteurs.

Références

Pour les bases sur les courbes elliptiques, nous recommandons le livre de Silverman, The arithmetic of elliptic curves [Si]. Les définitions géométriques équivalentes sont contenues dans les deux volumes de Algebraic Geometry par Görtz et Wedhorn. Les généralités sur les modèles de Néron sont revues dans l’éxposé de M. Artin dans le livre Arithmetic Geometry (éd. par Cornell et Silverman) [AG], ainsi que dans le livre homonyme par Bosch, Lütkehbohmert et Raynaud. Le livre Algebraic Geometry and Arithmetic Curves par Qing Liu traite également de ces sujets et compare en détail les trois modèles attachés à une courbe elliptique (le modèle propre minimal, celui de Néron et celui de Weierstrass).

Les liens entre la conjecture de Szpiro et la conjecture $abc$ sont abordés dans de nombreuses publications, comme dans [Si], le livre Heights in Diophantine Geometry par Bombieri et Gubler [BoGu], ainsi que dans l’éxposé original de Szpiro.

Il existe de nombreux livres sur les formes logarithmiques. Pour citer quelques exemples : le livre Transcendental Number Theory par Baker et Diophantine approximation on linear algebraic groups par Waldschmidt.

Les dernières parties sont principalement contenus dans les éxposés de [AG]. Les généralités sur les hauteurs sont traités dans [BoGu]. Un éxposé sur la preuve de Faltings en français est donné dans un Séminaire Bourbaki par Deligne. Un aperçu rapide sur les fonctions modulaires (classiques) se trouve dans le livre Cours d’Arithmétique de Serre ; les courbes modulaires sont étudiées dans le livre Introduction to the Arithmetic Theory of Automorphic Functions par Shimura, et les espaces grossiers des modules des variétés abéliennes sont exposés dans [AG].

Il est également recommandé de consulter l’article de conférence Les Schémas de Modules de Courbes Elliptiques par Deligne et Rapoport ainsi que le livre Modular Forms and Fermat’s Last Theorem (éd. par Cornell, Silverman et Stevens). Les conjectures de Frey sont exposées dans son article original Links between solutions of $A - B = C$ and elliptic curves.